[Radio] "Psychiatrie : à Reims, les "fous ordinaires" contestent la pratique de la contention" sur France Culture


Psychiatrie : à Reims, les "fous ordinaires" contestent la pratique de la contention

Reportage de Tara Schlegel pour France Culture

Lundi 21 octobre 2024

 

La contention est une pratique fréquente en psychiatrie. Cette immobilisation forcée des malades a conduit néanmoins au décès de 42 personnes entre 2011 et 2019. À Reims, soignants et patients ont organisé une "Soirée de la Folie Ordinaire" afin de mettre en question cette privation de liberté.

La contention consiste à immobiliser de force un malade psychiatrique, ou un patient très agité, qui est devenu un danger pour lui-même ou pour les autres. Elle est décidée par un psychiatre, après une concertation pluriprofessionnelle. Mais dans la vie courante de la majorité des établissements psychiatriques, et même en Ehpad, la contention est fréquemment utilisée.

Pourtant, selon les recommandations de la HAS - la Haute Autorité de Santé - cette démarche doit être « une mesure d'exception, limitée dans le temps (…) qui impose une surveillance et un accompagnement intensif. L’autorité sanitaire insiste même dans un article de 2017, actualisé deux ans plus tard : « L’utilisation d’une mesure de contention mécanique (c’est à dire à l’aide de matériels ou vêtements qui entravent la capacité de mouvement du malade NDLR) représente un processus de derniers recours ». La contention ne peut donc être justifiée que par des arguments cliniques.

D’où cette interrogation : peut-elle être parfois un soin ? Une thérapie utile ?

Pour répondre à cette question dérangeante, un groupe de soignants et de soignés organisait à Reims mercredi 16 octobre, une « Soirée de la Folie Ordinaire ».

Rendez-vous était donné dans la Maison Commune du Chemin Vert, près d’une petite église à quelques encablures de la maison Ruinart, autrement plus célèbre. Le Collectif Artaud et au moins cinq autres clubs thérapeutiques, hébergés par les différents services psychiatriques de l’hôpital de Reims, sont montés sur scène pour faire découvrir leurs ateliers d’expression où chants, danses, extraits de pièces Célèbres comme Cyrano, sketchs comiques écrits par les clubs, morceaux interprétés par une fanfare, se sont succédés dans un joyeux tintamarre.

L’une des vraies originalités de ces clubs thérapeutiques réside dans le mélange des patients et des soignants qui collaborent sur un pied d’égalité totale aux ateliers. Impossible, sur scène de distinguer un malade d’une blouse blanche. D’ailleurs, même dans les services de soins, les personnels médicaux ne portent pas de blouse justement pour se retrouver de plein pied avec les malades qu’ils accueillent.

Parmi les co-organisateurs de la Soirée s'est distinguée l'association Humapsy. Cette association a été fondée en 2011 par des malades psychiatriques qui avaient envie de faire entendre leur voix et de porter un discours "politique" sur le système, explique Matthieu qui est toujours le président de ce groupe treize ans après sa création. C'est d'ailleurs sous l'impulsion des clubs et de Humapsy que Reims a organisé ces dernières années les rendez-vous de la Folie Ordinaire. L'objectif étant de se distinguer des très officielles "Semaines d'information sur la santé mentale", qui sont organisées par les acteurs essentiellement institutionnels regroupés dans un "collectif national".

Les patients, eux, ont voulu justement montrer un autre visage de leurs institutions. Cette année par exemple, ils se sont amusés à détourner le titre donné aux Semaines d'information sur la santé mentale. Dans le sillage des Jeux olympiques, elles s'intitulent en effet en 2024 : "En mouvement pour notre santé mentale". Eh bien, les organisateurs dans leur "folie ordinaire" ont voulu justement explorer les enjeux et dangers de la "contention" - autrement dit d'une pratique qui "entrave" les patients les empêche de se mettre "en mouvement".

Pour la soirée débat, ils ont invité le psychiatre Mathieu Bellahsen - qui venait aussi en ami puisqu'il a fait son internat, il y a des années, dans les services de l'hôpital de Reims - auteur d'un livre intitulé "Abolir la contention" paru aux éditions Libertalia. Un ouvrage qui s'ouvre par une série de témoignages de malades, tous traumatisés par ce que M. Bellahsen et les psychiatres qui travaillent à Reims considèrent comme des pratiques d'un autre âge.

Pratiques qu'il serait donc grand temps "d'abolir", comme le dit le titre du livre mis en discussion. Car, comme l'a rappelé Mathieu Bellahsen, la contention tue en France. D'après une étude de l'ANSM entre 2011 et 2019, ce sont 42 malades qui sont décédés en raison de cette pratique. L'essentiel en hôpital psychiatrique, mais aussi en Ehpad. À Reims, patients et soignants ont donc appelé de leur voeux une remise en question de la contention.