Pascal Crété - "Et l'institution, demain ?"
Et l'institution, demain ?
**********
Centre Antonin Artaud REIMS
Jeudi 23 Avril 2015
Merci à Patrick CHEMLA et au collectif de la CRIEE pour cette invitation à participer à cette rencontre. Il est vrai qu’entre Reims et Caen, nous avons des points communs et des passerelles, dans la manière de penser notre travail, avec cette double articulation clinique et politique, aussi dans l’esprit d’une fonction de service publique, même si nous ne sommes pas tout à fait aux même places, vous du côté sanitaire, nous du côté associatif médicosocial. Et avec Patrick, nous avons pu souvent de nos places respectives – de psychiatre, mais aussi de chef d’une collectivité - dans des rencontres, soutenir une certaine idée du soin psychique, de la nécessité d’être stratège et de s’informer sur les politiques et les organisations en cours, même si elles nous semblent hermétiques et lointaines quant à nos préoccupations quotidiennes ; car au final, vous le savez bien, ces organisations sont actuellement celles « dans l’air du temps » et malgré nos arguments, protestations et actes résistants, elles se mettent en place dans le champ du soin psychiatrique. Je dis « soin psychiatrique » car que de nos places respectives, nous partageons les mêmes principes et la même préoccupation, celle de soigner des personnes en souffrance psychique.
Enfin, les deux associations culturelles, la CRIEE à Reims et le CRIC à Caen sont assez proches par leur engagement, leur dynamisme à proposer des rencontres, des soirées d’échanges, des colloques, sans omettre la dimension du plaisir à partager et à être ensemble.
C’est avec cette tonalité plaisante et avec l’idée de continuer de réfléchir ensemble à cette double articulation clinique et politique dans le contexte du moment, que je vous propose de discuter ce soir.
Quelques mots pour introduire mon propos avec ce titre « Et l’institution, demain ? » et non pas « Et demain, l’institution ? ». Petite nuance.
Le « Et » vient bien sûr telle une articulation nécessaire, indispensable, préoccupation partagée, conjonction de coordination, celle du mouvement de la PI, quelques soient les formes que prendront demain nos services et établissements, nous articulerons cette question « Et l’institution, dans tout cela, qu’en est-il ? Où est-elle ? Quelle forme prend-elle ? ». Exercice auquel nous sommes habitués, de penser cette autre dimension, l’institution au regard de l’établissement ; de penser la clinique au service de l’organisation, et non l’inverse. Pourtant, nous y reviendrons, avec les formes que peuvent prendre aujourd’hui, et plus encore demain, certains dispositifs, cette articulation avec l’institution, au sens où nous l’entendons, d’une terre d’accueil et lieu des échanges pluriels, ne va pas de soi. Car si cette dimension des échanges est bien la fonction essentielle pour nous de l’institution, avec de nouvelles formes établies, il nous appartiendra d’inventer de nouveaux points de contact pour permettre cette dimension de l’échange en respectant nos principes fondamentaux de liberté de circulation et d’hétérogénéité.
Demain avec un « ? », parce que la tendance actuelle, dominante est fortement teintée de ce terme de désinstitutionalisation ; l’institution dont il est question dans les discours actuels est plutôt de l’ordre de l’établissement : des murs, des services qui hébergent et coûtent aujourd’hui trop chers… pour autant, c’est le « mot tendance » du moment que l’on entend aussi bien dans les bureaux de l’ARS que dans ceux du Conseil Général.
Lors des dernières réunions de l’association culturelle, le CRIC, les échanges ont beaucoup porté sur ce mot de désinstitutionalisation énoncé à droite et à gauche, par les directions d’établissements sanitaires, sociaux et MS. Désinstitutionalisation qui trouve par exemple un parfait écho dans la mise en place des équipes mobiles de psychiatrie ou dans le placement à domicile des enfants relevant de la protection de l’enfance. Les cricais qui témoignaient de la place faite à ce discours actuel, relataient que le terme Institution était teinté de négativité et de l’ordre d’une pratique moyenâgeuse, et que ces nouvelles formes de travail, notamment à domicile, témoignaient de la modernité de notre époque, qu’il était temps de faire tomber les murs des institutions, d’ouvrir les endroits considérés comme fermés… bref, un discours que nous aurions pu nous-mêmes tenir, il y a quelques années, lorsque nos services hospitaliers étaient encore synonymes de pratiques anciennes, d’enferment et que nous dénoncions haut et fort ces pratiques. Autrement dit, les nouveaux gestionnaires se présentent comme des libérateurs de l’aliénation sociale et ils tiennent un discours qui visent à renverser ces pratiques dites institutionnelles, entendues dans le sens d’un repli, d’une fermeture, d’un entre soi… tout cela appuyé sur le principe d’égalité des chances, promus par la loi du 11 février 2005 qui, en soi, est une bonne loi. Autrement dit, par ces traits communautaristes, mouvement centripète, l’institution aujourd’hui irait à l’encontre de cette citoyenneté promue et promise, mouvement centrifuge.
« Demain », car je ne suis pas certain que le mot institution convienne bien à traduire ce qu’il en est de nos références et de nos pratiques. Vous le savez, Jean Oury rappelait souvent que le terme de Psychothérapie Institutionnelle fige les choses, réifie ce qui relève d’une dynamique, d’un mouvement, d’une posture et surtout d’un travail. N’oublions pas que le terme de PI n’apparait qu’en 1952, à l’initiative de Daumézon et Kœchlin quelques peu embarrassés pour rendre compte de cette pratique nouvelle, mais pas si nouvelle car c’est une pratique qui a déjà 12 ans d’existence, depuis les débuts de l’expérience de St-Alban. Je veux dire par là que si le terme Institution, pris dans les novlangues actuelles, est rabattu sur le sens d’Etablissement et est porteur de significations négatives (ségrégation, enferment, coût trop élevé…), il nous appartiendra de continuer à travailler avec les outils que nous avons forgé, en évitant le piège de l’enfermement dans les mots. Tosquelles était d’ailleurs lui aussi assez critique concernant ce terme.
Je sais que cette posture pose question, qu’en « cédant sur les mots on risque de céder sur les choses », les fondamentaux, les idées et concepts en arrière-plan, mais je pense qu’il convient de ne pas s’enfermer dans des postures extrêmes ; celle qui consisterait à s’arque bouter sur une position rigide, sans prendre en compte les éléments extérieurs qui changent et règlent les nouvelles organisations, et produisent de nouveaux discours en tordant le sens des mots ; ou à l’inverse, coller pleinement au discours actuel, « lâcher sur les mots » et donc possiblement sur nos outils.
« Un mot n’est pas la chose, mais un éclair à la lueur duquel on l’aperçoit ». Diderot
Notez par exemple que le terme de Transversalité est aujourd’hui largement repris par les approches managériales et est devenu un principe moderne ; certainement pas au sens du développement de hiérarchies subjectales, telles celles que propose un club thérapeutique. Mais dans la grande pyramide de hiérarchie statutaire, il est recommandé aujourd’hui de travailler transversalement, de développer des compétences complémentaires sur des niveaux identiques.
Concernant cette place des mots, je suis davantage adepte de cette position critique qui consiste à toujours se méfier des mots, y compris ceux avec lesquels nous travaillons au quotidien et à envisager la résistance dans un mouvement, une proposition et non dans une opposition frontale. Et cela bien sûr, sur le terrain qui est le nôtre, celui de la clinique, car c’est bien ce champ qui est aujourd’hui menacé et pour autant, que nous pouvons prétendre connaitre un peu.
« Résister, c’est créer » pour reprendre le titre proposé par Benassayag, ou celui de la JNPI de Caen en 2008, « Entre résistance et création », version plus normande de l’affaire, c’est une posture que nous tentons de tenir à quelques-uns – vous à Reims, nous à Caen et d’autres ailleurs – posture qui peut tout à fait être critiquée pour la part de négociation que cela implique. Mais je ne crois pas, dans le contexte actuel, qu’il soit préférable de s’isoler et de résister tel un village gaulois ; je crois plutôt en l’art de la négociation et de renverser les tendances et les logiques quand cela est possible.
État des lieux en 2015
Alors où en sommes-nous en 2015 après ces années où le rouleau compresseur financier et gestionnaire passe et repasse sur les établissements sanitaires, où les logiques managériales sont quasi installées à toutes les directions, où depuis la loi HPST avec les ARS le rapprochement entre sanitaire et SMS est à l’œuvre, aussi à la veille d’une nouvelle loi de santé qui se prépare avec de nouvelles réorganisations annoncées ? Je ne ferai pas un point exhaustif sur ces questions car cette posture de veille est assurée par nos copains du collectif des 39, aussi par d’autres collectifs et syndicats ; ils nous tiennent éveillés, informés de ces évolutions en cours et à venir. Je voudrais juste dégager quelques éléments qui me semblent importants pour notre propos sur l’institution.
Au travers des lois et réorganisations administratives en cours, on assiste à un vaste mouvement de recentralisation et d’homogénéisation : la RGPP, la loi HPST, la réorganisation des territoires dont actuellement les régions, demain les départements, la logique des pôles qui traverse le sanitaire et le SMS … toutes ces nouvelles orientations tendent à réorganiser nos établissements, dans un rapport de hiérarchie statutaire renforcée et centralisée avec sur le terrain, une nouvelle direction qui se dessine : celle de développer des structures d’une grande technicité, voire d’une spécialisation pointue. Lorsqu’on regarde les plans dits stratégiques des ARS, la cartographie à venir des établissements sanitaires et MS serait donc celle d’un ensemble de services très spécialisés, très techniques et liés entre eux par un principe de coordination. D’ailleurs les services plus généralistes sont actuellement dans le collimateur (maternités d’hôpitaux généraux, services de médecine générale, établissements médicosociaux aux agréments trop généralistes…) et menacés de disparaitre. C’est l’hôpital aujourd’hui qui est un modèle de ce type d’organisation. Il a été remanié par des lois successives (de l’Hôpital entreprise, la tarification à l’acte, la loi HPST) et se présente tel un plateau technique médical dirigé par une administration centralisée qui, dans un rapport très articulé entre l’offre de service et le coût financier, offre un ensemble de prestations aux usagers. Dans chaque pôle, il s’agit d’offrir et de développer le meilleur soin, au plus bas coût financier, rapport marchand du soin qui convoque de la part des professionnels du soin, de la culpabilité inconsciente de peser financièrement sur la collectivité, qui impose le silence dans les rangs, alors même que les conditions de travail sont de plus en plus difficiles au quotidien. Rapport manifeste à la double aliénation, psychopathologique et sociale, chère à Oury.
Cette même politique de l’hyperspécialisation se propage actuellement dans le SMS, renforcée par la loi du 11 février 2005 qui, au travers de la reconnaissance des neuf handicaps et déficiences spécifiques, poussent logiquement les services et établissements à se spécialiser ; par exemple, le handicap psychique devient une préoccupation majeure du fait du passage progressif des personnes du secteur sanitaire (sortie des patients de l’hôpital psychiatrique, fermeture des lits, transformation des services de longs séjours) vers le SMS et nous voyons des établissements hier agréés pour l’accueil de personnes handicapées mentales, aujourd’hui dédiés à cet accueil de personnes psychotiques ; c’est le cas des ESAT qui ont une longue tradition de l’accueil de population déficientes intellectuelles et se voient transformés en structures pour personnes handicapés psychiques. Mais entre le handicap mental et le handicap psychique, il n’y a pas qu’un mot d’écart ; il y a des problématiques différentes, un rapport au monde totalement autre et des réponses professionnelles très différentes. Cette réorientation des personnes et du travail des professionnels est imposée, mise en place par les MDPH, sans concertation préalable avec les associations et les établissements, sans formation à l’adresse des professionnels.
Cette réorganisation de l’offre et cette spécialisation des services s’entendent parfaitement au regard d’une politique publique, d’autant qu’elle prend en compte des réalités nouvelles (par exemple, la pratique des dépistages précoces entraine une diminution importante des déficiences intellectuelles). Mais cette politique est mise en place via un rapport centralisé, hiérarchisé, « donneur d’ordre » - logique des appels à projets - et non de terrain, d’échanges ; autrement dit un rapport établi et non institué et instituant.
Et comme à chaque fois, lorsque de nouvelles organisations et orientations tombent ainsi de manière établie, elles produisent un formidable effet de fermeture, de maitrise et d’homogénéisation ; la politique et les gouvernances qui sont à l’œuvre sont des politiques qui visent à trier, ranger, organiser de manière formelle, établie en fonction d’une norme : hier un diagnostic médical, aujourd’hui un diagnostic qui se passe du médecin car il est établi sur des critères de déficiences dans la vie quotidienne. Vous voyez l’effet pervers du système : à la fois on ne peut qu’être d’accord avec cette prise en considération des déficiences qui traduisent bien une perte dans la vie quotidienne pour la personne – d’ailleurs, que nous autres psychiatre avons eu beaucoup de mal à accepter – et cette mesure normée sert à orienter la personne vers tel service et à compenser la déficience. Mais à l’échelle plus politique, cela conduit à des effets d’homogénéisation dissimulée derrière un vœu de perfection, voire d’exception professionnelle.
A ce propos je vous signale une thèse de médecine très intéressante réalisée par Pascal Couturier, interne en psychiatrie, qui est resté un an au FLR et qui a porté son travail de fin d’études sur la question du diagnostic en psychiatrie. Il montre combien cette question du diagnostic en psychiatrie est liée à un contexte socioculturel, que ce principe diagnostique a été travaillé, modifié, façonné par différents courants de pensée (la phénoménologie, la psychanalyse et la Pi et la psychiatrie de secteur) et que l’EBM actuelle est aussi une vision du moment. Dans sa dernière partie, il nous propose une autre approche diagnostique qui intègre des éléments telle la fonction d’accueil, le transfert partagé, le travail d’équipe… des éléments qui nous sont familiers.
Vous voyez bien que nous ne sommes plus dans les logiques qui consistaient à développer en interne, les outils dont nous pouvions avoir besoin (par exemple développer telle unité de rééducation spécialisée dans un service de neurologie en recrutant les rééducateurs adéquates ou dans tel ITEP, introduire des classes ateliers à l’adresse des enfants ayant des troubles importants et qui pour autant, ont besoin d’aller à l’école) ; il s’agit aujourd’hui d’être à la pointe et la logique qui soutient ce vecteur de perfection n’est
pas sans rapport avec la logique marchande sous-jacente. Comme dans le
secteur marchand, nos tutelles, qui sont aussi, et de plus en plus, nos
autorités de la tarification, nous comparent et nous poussent à nous comparer entre nous, entre services ; ceux qui sont dans les meilleurs ratios coûts/efficacité sont bien sûr considérés comme les meilleurs (exemple des 7 FAM du Calvados qui ont des publics très différents et des moyens en personnels adaptés à chaque structure : application de la convergence tarifaire, sans prendre en compte le publics et les moyens, pour tendre vers un même « prix »).
Cette logique marchande et formelle avec ce fantasme d’hyperspécialisation, conduit chacun à se tourner et retourner vers son domaine et à délaisser tous les chemins de traverses qui nous amèneraient à de nouvelles rencontres et à tisser des liens transversaux. Développer des unités pour autistes, des centres pour schizophrènes, des consultations spécialisées pour l’anxiété, pour les troubles du sommeil… oui, tout cela tend vers ce principe qui envisage la personne comme constituée de parties isolées, d’organes différents et différentiés et qui convoquent, à chaque occurrence, des réponses de spécialistes.
Et pour lier ces réponses entre elles, ce sacrosaint principe de coordination des professionnels et services qui, forts de leur technicité et expériences propres, s’articulent pour proposer une réponse dite « adéquate ».
Actuellement, le maitre mot est celui de la coordination, étendue et entendue, comme une juxtaposition articulée de réponses, en réponse à cette vision morcelée de l’homme. Ce principe se justifie bien sûr par l’argument des finances qui, actuellement dans chaque secteur, sont limitées et ne permettraient plus de développer de nouveaux services avec des professionnels d’autres disciplines. Mais cela relève surtout de cette logique centralisée et hiérarchisée qui voit dans ces pratiques dites partenariales, de nouvelles formes d’associations humaines, voire même de connivence, alors qu’il s’agit le plus souvent de simples juxtapositions et d’emboitements qui renvoient à des registres de reconnaissance statutaire, participent à ce un principe d’homogénéisation.
Je prends un exemple avec les services dits de médecine préventive universitaire. Il se trouve que je travaille dans le SUMPSS de Caen depuis plus de 25 ans et j’ai pu voir l’évolution dont je fais état. Précédemment, lorsqu’un problème de santé concernant les étudiants venait à nous alerter de manière récurrente (par exemple, des étudiants étrangers isolés, les étudiants de première année de médecine particulièrement stressés et qui sollicitaient beaucoup le service), nous réfléchissions ensemble à la manière dont le service pouvait répondre, ou pas. C’est ainsi que face à une demande croissante de consultations psys pour des troubles anxieux et de l’adaptation (installation à Caen en chambre universitaire), ce service s’est doté d’abord d’un temps de vacation de psychiatre, puis d’un second, puis d’un temps de psycho. C’est ainsi aussi qu’une consultation diététique s’est mise en place, des groupes de relaxation, une consultation gynéco et bien d’autres réponses développées localement sur le campus, dans un souci de proximité et de quotidienneté pour les étudiant. En parallèle à ces projets, se développait aussi la formation des professionnels à ces nouvelles propositions. Aujourd’hui, il n’est plus question de développer en interne une réponse ; elle est d’emblée positionnée à l’extérieur avec cette sempiternelle réponse que l’Université n’est pas là pour faire du soin. En effet, ce n’est pas sa mission première mais lorsque l’Université accueil sur le campus des étudiants, il y a bien là une question d’espace, de secteur au sens psychiatrique du terme, et de réponses à envisager. Nous pensions la réponse dans une approche globale de la personne avec un souci de proximité, une pris en compte du contexte (par exemple que les étudiants ne vont pas facilement voir un psychiatre dans un CMP, aussi leur réalité financière qui ne permet pas l’avance de la consultation en ville), du terrain. Demain, les SUMPSS disparaitront probablement car là encore, même dans une visée de prévention médicale, l’Université se désengage de cette mission.
On voit bien que cette logique qui répondait au besoin singulier et spécifique du territoire avec sa population est supplantée aujourd’hui par celle qui consiste à dire que les étudiants sont d’abord des étudiants et lorsqu’ils nécessitent des soins ou d’autres réponses d’ailleurs, ils les trouveront dans les services ad hoc. Mais ce n’est pas la même chose de consulter le psychiatre du service universitaire qui est dans une certaine disposition d’accueil et prend en compte la spécificité de la population étudiante, que d’aller au CMP du quartier où il sera certes accueilli, mais dans un autre cadre. La proximité, dans tous les sens du terme, est supplantée par le fantasme d’une certaine technicité. Ou encore, l’institution et ses logiques sont écrasées par l’établissement et son déploiement horizontal.
Un autre exemple qui nous concerne plus directement dans le SMS est celui des SAVS.
Ces services existent depuis la fin des années 70 et ont d’abord été imaginés comme des services de suite, notamment pour les travailleurs en CAT/ESAT qui avaient besoin d’un accompagnement dans la vie quotidienne, une aide concrète pour mener différentes démarches. Aussi pour accompagner d’anciens travailleurs qui vieillissant, sollicitaient une aide au quotidien que les moniteurs d’ateliers des CAT ne pouvait leur apporter. On a donc créé ces services d’accompagnement.
La loi 2002-2 puis surtout celle du 11 février 2005 sur l’Egalité des chances par rapport aux handicaps a repositionné ces services dans le panier des services susceptibles d’assurer demain un accompagnement à domicile. A côté des SIAD, des SAAD et autres services dits d’accompagnement, les SAVS se sont largement développés pour répondre à cet accompagnement à la vie sociale. Je ne sais pas pour vous, mais personnellement je ne sais pas trop ce que signifie ce terme de « vie sociale »… vie quotidienne certainement… mais vie sociale, c’est large, flou, peu précis… si ce n’est que par rapport à la loi du 11 février 2005 et à la notion d’égalité des chances, cela permet de d’énoncer qu’une personne en situation de handicap a les mêmes chances d’accéder à une vie sociale qu’une autre personne. Sur le principe, c’est bien sûr fondamental et personne ne remet en question cette proposition d’égalité, mais sur le terrain, les choses sont plus complexes, notamment lorsqu’on accompagne une personne handicapée psychique par psychose et dont le rapport au monde est marqué par la dissociation et le délire. Le SAVS n’est pas un service de soin, c’est un service d’accompagnement social, et il doit nécessairement s’articuler avec un service sanitaire, (suivi de secteur, consultation en CMP…) et c’est là que les choses se compliquent. Deux mondes s’entrechoquent, le SMS et le sanitaire, qui plus est, si le SAVS est issu d’une association ayant une histoire associative très différente (je pense aux SAVS APAEI qui, originellement, s’adressaient à un public déficient intellectuel et aujourd’hui se tournent via l’ordre des MDPH, vers un public handicapé psy, nécessitant la formation des professionnels à cet autre public). Il s’agit donc de passer d’une logique institutionnelle (1 seul service avec plusieurs entités) à une logique de services qui chacun propose des actions, voire des prestations, différentes et complémentaires. C’est là que
le maitre mot de coordination se pose car pour faire travailler
ensemble ces professionnels autour de la personne, il convient que cette
fonction de coordination soit assurée au sens d’un nécessaire travail de liens.
Mais reprenant la distinction essentielle apportée par Jean OURY entre statuts/rôles/fonctions et les articulations aux trois registres R, S, I, pour qu’une fonction soit vraiment au travail collectivement, il est nécessaire que le gradient de hiérarchie statutaire soit abaissé, aussi que la part d’imaginaire mise au travail au travers du rôle soit désépaissie. Dans le cadre de cette coordination établie, du fait de l’historicité différente de chaque institution, le travail de coordination est fortement tissé d’imaginaire – savoir ce que l’autre, de sa place, devrait faire – et cela encombre souvent le possible travail ensemble. On en reste à la représentation de ce que devrait être le travail de l’autre. Les aspects statutaires sont aussi très présents car issus de secteurs différents, avec des pratiques différentes, chacun se retranche derrière son statut pour énoncer son discours.
Je prends un exemple : à l’APPUI, le SAVS travaille principalement avec cinq secteurs caennais de psychiatrie. Et chaque secteur a une manière différente de travailler, de se positionner vis-à-vis de l’idée et de sa pratique de secteur, vis-à-vis du patient et donc des services autours tel le SAVS… tout cela est lié à l’histoire de chaque secteur, aux personnes qui ont œuvré... En cela rien d’anormal car tout cela est bien humain. Si nous ne prenons pas en compte cette dimension, tel un récit
narratif avec lequel nous devons faire avec, le travail dit de
coordination ne fonctionne pas, du moins il reste pris dans des représentations de ce qu’il conviendrait de mettre en place. Il y a un secteur que nous connaissons bien, très engagé dans une vraie pratique de secteur – le pavillon d’admission s’appelle Lucien Bonnafé – et entre les deux équipes du secteur et de l’APPUI, il y a de vrais échanges. Lorsqu’un patient pose problème, inquiète, les professionnels s’appellent, échangent et travaillent à construire ensemble des représentations. Avec ce secteur, il n’y a pas de coordination si ce n’est lors des réunions dites de synthèse qui sont peut-être un peu plus formelles. Au quotidien, c’est une fonction partagée qui est à l’œuvre et que chacun de sa place met au travail. A l’inverse, un autre secteur de Caen est marqué par une pratique très statutaire et un peu phobique – les médecins ne consultent pas beaucoup en CMP et préfèrent accueillir les patients en consultation, sur le pavillon d’hospitalisation - ; avec ce secteur, il est difficile de construire ensemble des représentations et le fantasme de la coordination parfois imposée (« nous devrions les obliger à », « ils devraient »…) se forme face au hiatus d’un impossible travail ensemble. Vous voyez bien la question institutionnelle qui se pose là, de transcender les aspects statutaires et les rôles pour construire une vraie fonction partagée. C’est tout un travail de plusieurs années d’échanges et de paroles auquel nous sommes aujourd’hui invités, en l’occurrence, entre nos deux secteurs.
Alors dans ce contexte dit de désinstitutionalisation, de gestion de l’humain au travers de réponses protocolaires, de contrainte financière tout en soutenant ouvertement une marchandisation du soin et des services sociaux (échelle de l’Europe), d’une pensée qui tendrait à se réduire à un fonctionnement binaire… comment continuer de travailler sans perdre son âme, en soutenant nos positions clinque et politique ? Je n’ai bien sûr pas la réponse car les réponses se situent comme toujours sur le terrain, pas dans les discours à distance.
Je peux vous dire comment nous tentons de négocier actuellement.
Par son histoire, qui débute au lendemain de la IIe guerre mondiale, face à l’absence de réponses de l’état pour prendre en charge des publics fragilisés, le SMS est riche d’expériences plurielles. On dit souvent que ce secteur est construit en « tuyaux d’orgue » pour traduire que d’un département à un autre, parfois même à l’échelle locale, les propositions MS sont très différentes. Ainsi par exemple, le département du Calvados qui au lendemain de la guerre a accueilli de nombreux enfants, est riche d’établissements MS pour enfants ayant des troubles psychiques ou relevant de la protection de l’enfance. D’autres départements, telle la Lozère sont aussi riches de structures différentes. Cette richesse est à la fois un atout, celui d’exister au regard des tutelles ce qui, dans une période de réduction financière et de manque de nouveaux projets, est un point fort ; mais l’hétérogénéité du SMS est mal vue par l’administration car celle-ci doit faire l’effort de connaitre chaque structure, de rencontrer chaque directeur. En ce sens, le rapprochement imposé par la loi HPST entre le sanitaire et le SMS, vise à réduire le nombre d’associations gestionnaires du SMS de 30 000 à 3 000. Ainsi le DG ARS pourrait-il comme il le fait avec les structures sanitaires, discuter, négocier, ordonner avec quelques représentants du secteur et non un groupe hétérogène comme c’est le cas actuellement.
Vous imaginez bien que nous ne sommes pas favorables à ce rapprochement mais dans le SMS, nombreux sont ceux qui voient dans ce rapprochement, un moyen d’étendre leur pouvoir en absorbant, digérant, phagocytant de petites associations. C’est un vrai enjeu actuel de sacrifier la richesse hétérogène de notre secteur au profit d’une homogénéisation des structures avec quelques associations/entreprises à la tête et aux affaires. Ce risque n’est pas négligeable car associé à la redistribution des agréments des établissements en 2017 (15 ans après la loi 2002-2), il risque de raboter la longueur des tuyaux d’orgue et au final de ne produire qu’une même son uniforme. L’art et la richesse du contrepoint risque de s’étioler en une mélodie déjà connue d’avance.
L’association qui nous gère, l’Association des Foyers de Cluny, est dans ce mouvement de rapprochement associatif. Actuellement trois établissements composent l’association : un ESAT dédié au handicap mental, un ESAT dédié au handicap physique et le FLR pour le handicap psychique. Les deux ESAT se sont regroupés en Pôle ESAT et des négociations sont en cours pour fusionner avec un autre ESAT d’une autre association de Bayeux en vue de la création d’une nouvelle association avec un pôle ESAT composé dès lors de trois établissements. Ce rapprochement de proximité et non sans certaines connivences, se heurte actuellement à la résistance des conseils d’administration qui, pris dans cette décision de management, résistent à l’idée de se rapprocher car la question du pouvoir de l’image de l’association demain y sont convoqués. Mais telle la tapisserie de Bayeux, nous savons qu’un tel travail de maillage ne peut se réaliser en un jour, fort heureusement.
En ce qui nous concerne au FLR, nous tenons à notre identité et notre histoire institutionnelle : 40 années d’existence de ce lieu dans cette même fonction d’accueil, de soins et de réinscription sociale. Car fort de l’histoire médicosociale, le FLR est un vrai ESMS dans le sens où il met au travail une équipe sanitaire (infirmiers, psychiatre, psychologue) à côté d’une équipe sociale (éducateurs, CDS). Lorsque ces établissements MS se sont créés, ils se sont dotés de vrais moyens médicosociaux en recrutant des professionnels sanitaires et sociaux ; c’est là le principe de l’équipe pluridisciplinaire. Par exemple, les AEMO associaient des professionnels éducateurs spécialisés à côtés de psychologues, de psychiatres et même de médecins généralistes. Aujourd’hui ce n’est plus le cas et la présence des psychiatres est mutualisée sur plusieurs AEMO. Dans la grande majorité des ESMS, les postes sanitaires ne sont pas pourvus, faute de médecins, aussi dans un souci d’économie pour les gestionnaires qui affectent ces budgets à d’autres postes, enfin aussi dans cette logique actuelle qui consiste à coordonner plutôt que de proposer en interne ; par exemple, dans les ESAT, du fait aussi des règlementations relatives au circuit du médicament, les postes d’infirmières sont souvent supprimés au profit de contrats avec les cabinets infirmiers et les officines de ville.
En ce sens, au FLR nous n’avons rien lâché de nos moyens humains et de la qualification des professionnels. D’ailleurs en 2002, le foyer, dont l’histoire est émaillée de fréquents conflits avec les autorités de tutelle concernant sa fonction et son agrément, s’est vu attribué l’agrément de FAM. Un FAM est officiellement doté de personnels sanitaire et social et doit répondre à ces deux champs et règlementations.
Quelques exemples :
· La création de l’APPUI
· Travail sur 24h et forfait jour
· Evaluation externe
· Projet NYC
Un autre point qui me semble essentiel est celui de ne pas rester hors des circuits de décisions et « d’occuper la place » au sens de représenter l’établissement pour pouvoir prendre la parole. Stratégie qui concerne plutôt le directeur dans sa fonction de représentation, mais qui aussi est la question de chacun dans l’institution. Il s’agit de faire exister le foyer dans la tête de ceux qui, dans leur bureau à l’ARS ou au CG, pensent les organisations de demain ; car peut-être, l’une des articulations que l’on a vraiment perdu dans le passage entre les autorités décentralisées telle la DDASS, et les instances plus formelles actuelles comme l’ARS, c’est le rapport au terrain. L’ARS ne connait pas et ne prétend pas devoir connaitre le terrain des établissements qu’elle finance. Nous devons alors nous faire connaitre et participer à différentes temps d’échanges. Qu’il s’agisse pour le directeur d’une représentation au CDCPH ou dans les commissions de la MDPH, ou dans un réseau dédié au handicap (RSVA), pour les éducateurs et infirmiers, la réalisation de cours et d’interventions en ateliers dans les centres de formation (IRTS, IFSI, séminaire pour les internes en psychiatrie…), cette représentation est essentielle pour entrer dans les logiques en cours, les comprendre et les déjouer ; aussi pour représenter l’établissement, et je dis bien l’établissement (exemple de la Commission de Gestion des situations à risque de la MDPH).
Il y a bien une dimension opportunisme à cette politique de l’établissement, au service de l’institution. Par exemple, depuis deux ans, pour arrondir le budget loisirs des pensionnaires, nous nous sommes engagés collectivement dans des actions de formations à l’adresse des professionnels en ESAT qui accueille aujourd’hui ce public handicapé psychique. Formations réalisées en interne au foyer et qui mobilisent de nombreux professionnels et pensionnaires, associe le club thérapeutique, La Loco, le comité d’accueil. Formations réalisées sur site aussi. Cette participation active de l’ensemble de l’institution fédère
et met au travail le collectif. Et puis, dans ce mouvement de
transmission, il y a des greffes qui prennent et permettent de faire
tomber des représentations malsaines concernant la pratique institutionnelle et invitent à de possibles échanges. Ce n’est pas simplement une représentation, c’est une mission politique qui garantit notre pratique clinique (exemple de la commission d’admission avec le FAM).
Concernant cette place faite à l’établissement, il ne faut pas la dénier et ne croire que seule l’Institution trouverait intérêt à nos yeux, sorte de lettre de noblesse au détriment de l’Etablissement. Face à la découpe actuellement opérée par l’administration, en charge de l’Etablissement et nous du contenu (de quel contenu ? peut-on parler d’institution ?), il faut reconnaitre que nous avons plutôt tendance à délaisser l’Etablissement. C’est ainsi d’ailleurs que les médecins directeurs ont lâché les postes de direction. Oury rappelait souvent cette histoire du « million » donné aux médecins courant des années 70, pour lâcher aux administrations ces postes de médecin directeur. Aujourd’hui, nos établissements sont malmenés dans les deux champs, E et I, et si nous voulons envisager de réarticuler l’organisation au service de la clinique, nous allons devoir prendre soin de l’Etablissement, reprendre place au niveau des postes de direction.
Un mot d’ailleurs concernant la question de la direction d’une institution telle le FLR car aujourd’hui le statut de médecin directeur est rare, d’autant plus rare si ce MD est vraiment en charge de toute la partie administrative, ce qui est mon cas au foyer. Je suis aidé par un RAF mais je n’ai pas de directeur administratif adjoint et c’est un choix. Il y a quelques semaines, j’ai eu l’opportunité de faire une présentation à un colloque de directeurs. J’avais intitulé mon propos « La fonction de direction au service de l’Etablissement et de l’Institution ». En référence bien sûr à Tosquelles et à notre pratique, j’avais volontairement dans le titre nommé ces deux scènes. Le parterre de directeurs présents était plutôt bienveillant, accueillant, intéressé pour entendre un autre propos sur la fonction de direction. Et j’ai eu le sentiment que mon propos était plutôt très bien accueilli, au point même où j’ai été invité, sur le principe, à intervenir à l’Ecole de Rennes, l’EHESP (Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique) pour je cite, « permettre aux futurs directeurs d’entendre autre chose que les discours actuels sur les organisations ». Très bien, mais lorsque nous avons commencé à échanger concrètement de situations quotidiennes et des difficultés que ces directeurs rencontres dans leur pratique, j’ai pu me mesurer combien ils étaient décrochés de deux scènes pourtant essentielles :
· l’histoire (de leur institution, de notre secteur mais même l’histoire en général lorsque j’ai rappelé l’histoire des organisations)
· le terrain, l’ambiance, le contexte.
Vous le savez Oury parle de sous-jacence pour dire, nommer ces éléments d’arrière-plan présents et actifs, mais qui ne sont pas visibles comme tels sur la scène. Dans le soin aux personnes psychotiques, nous savons combien ce plan est essentiel car des éléments transférentiels y sont au travail. Nous savons aussi que dans la manière de piloter une équipe, cette sous-jacence sera aussi un registre à prendre en considération et c’est bien là l’un des aspects violents de certaines techniques de management qui ne prennent pas en compte ces éléments et s’appuient uniquement sur une hiérarchie statutaire. Alors au poste de directeur, on peut penser qu’au regard des décisions à prendre, cette articulation est là aussi indispensable à prendre en considération et à penser. Et bien, la majorité des directeurs présents faisaient état d’une désarticulation complète à ce registre. Par le poids de la hiérarchie statutaire, l’organisation elle-même qui délimite précisément le rôle de la direction et l’empêche de prendre des points de contact avec les éléments de la sous-jacence. Pour certains, c’était même presque antinomique ; un directeur ne peut trainer à la cafétéria, échanger comme ça avec les autres professionnels ou les usagers…
Dans mon propos, j’ai parlé aussi de la fonction décisoire, en référence sans trop le dire, à la manière dont Oury l’aborde ( !), c’est-à-dire en lien avec ce temps du Kairos, temps de l’opportunité, du moment à saisir, instant d’inflexion, qui n’est pas un temps logique au sens de la logique formelle déductive et cartésienne, mais relève bien d’autres logiques (modales, poétiques et surtout abductive). Dire à ces collègues que justement de la place de directeur, nous avions à nous décaler de cette logique entendue par avance et à nous situer sur une autre scène et un autre temps logique, cela a ouvert un vaste temps d’échanges, de possibles changements, mais la question de la peur, de l’angoisse était là présente entre nous. Angoisse dans la prise de décision, peur de se tromper, peur de la hiérarchie, peur de la faute à son insu… C’est bien de cela dont il est question du désir, de l’angoisse et de la manière dont chacun personnellement va s’arranger avec cela. Dans le champ institutionnel, nous y ajoutons la dimension collective et la prise en considération de ces questions par l’ensemble de la collectivité,
non pas dans une prise directe et des recommandations de bonnes
pratiques, davantage dans une prise en compte indirecte via des médiations (club, association culturelle ou autres outils) pour dialectiser ces questions.
D’ailleurs, concernant cette question de la décision, il est important de se rappeler, pour tout un chacun, ce que l’anthropologue Victor Von Weizsäcker énonçait à ce sujet « L’homme n’est pas dans la catégorie de sujet et de prédicat mais dans la catégorie de la décision, non seulement dans la décision éthique ou morale mais aussi en elle ». Il situe donc la décision non pas comme une qualité, une acquisition, un travail mais comme constitutive de l’homme même.
Donc vous voyez, entre stratégie et analyse, entre résistance et création, savoir « parler papou avec les papous » lorsque cela est nécessaire mais sans rien lâcher sur les principes fondamentaux, occuper la place et savoir s’en extraire lorsque la pathoplastie devient trop lourde… nous tentons de naviguer ainsi et nos outils institutionnels « pour faire le point » sont des réunions où cette double articulation clinique et politique est toujours à remettre au travail.
Pour conclure et illustrer autrement que nos métiers ne relèvent pas d’une pure logique formelle, scientifique, cartésienne, revenons un instant à Freud. Il évoque à deux reprises, dans sa Préface à « Jeunesse à l’abandon » d’Aichhorn (1925) et dans « Analyse terminée et analyse interminable » (1937), les trois métiers impossibles : Eduquer, Soigner (analyser) et Gouverner. Il l’énonce ainsi, non comme une mission devenue impossible et devant laquelle il serait aujourd’hui prudent de ne pas s’y engager, mais d’avantage comme quelque chose qui rate toujours l’objectif qu’il s’est donné.
Il dit précisément : « Il semble presque, cependant, que l’analyse soit le troisième de ces métiers “impossibles” dans lesquels on peut d’emblée être sûr d’un succès insuffisant. Les deux autres connus depuis beaucoup plus longtemps, sont éduquer et gouverner ».
Ces trois métiers ne sont impossibles que par le fait qu’ils traduisent leur rapport direct à la parole et dans ce rapport, nous savons ce que parler veut dire, cela nous échappe en partie. Dans son dernier ouvrage « La haine de la parole », Claude Allione reprend justement cette lecture de FREUD, en quelques sortes, visionnaire par rapport à notre monde qui, au travers d’une saturation psychique permanente, tente de contrôler et d’enfermer la parole. Il dit : « L’éducation ne réussit jamais aussi bien que lorsqu’elle échoue, c’est-à-dire lorsque l’éduqué se dégage de l’emprise de l’éducateur pour laisser émerger en lui sa posture de sujet » L’humain échappe donc sans cesse aux prédéterminations établies.
Dans son article « L’art de gouverner », le psychosociologue Eugène Enriquez s’interroge ainsi : « Mais avant d’aller plus avant, une question doit être posée : Pourquoi Freud a-t-il mis les trois professions qui nous préoccupent en parallèle, pourquoi a-t-il pu penser qu’elles devaient connaître le même destin ? »
Enriquez y voit trois raisons dont la première serait que : « Ce sont les seuls métiers qui expriment un pouvoir nu sur les hommes, autrement dit, un pouvoir sans médiation ».
Ces trois métiers sont en effet liés par un commun pouvoir au cœur de leur action, par leur potentialité d’en abuser, se heurtant à l’impuissance quand l’autre déjoue leur intention.
La deuxième, serait que ce « sont des métiers d’artistes qui n’auraient paradoxalement à leur disposition pour exercer leur art que les préceptes moraux et un vague code de déontologie mais qui seraient démunis de toutes armes techniques ». Le directeur artiste, créateur, créatif, dans une logique approximative, de l’ordre toujours du précaire, c’est une approche intéressante.
Et la troisième, que « ce sont enfin trois métiers que les “spécialistes” peuvent exercer, s’ils ne sont pas bridés par leur conscience morale et par un code de déontologie partagé, en toute impunité et sans ressentir la moindre culpabilité quant aux résultats obtenus » (Les Trois Métiers impossibles).
Alors si diriger, soigner, éduquer relèvent plutôt de l’art et non de la science, du spectacle, voire de la prestidigitation, du tour de passe-passe plus ou moins réussi, je vous laisse bien sûr méditer sur les raisons qui nous ont amènent à nous engager dans ces métiers. Aussi à nous poser la question « de quoi nous défendons-nous ? » lorsque nous érigeons des cathédrales de hiérarchie statutaire, développons des logiques de pur contrôle des échanges humains, d’emprise absolue, de tentative pourtant vaine d’enfermer le sujet.
Pascal Crété
Caen, le 21 Avril 2015
NB : A propos des effets d’homogénéisation et de ségrégation
Lacan avait pointé de façon précise la survenue de tels phénomènes en les épinglant du terme de ségrégation. Ces remarques sont présentes en particulier dans une conférence intitulée le « Petit discours aux psychiatres » (Ste-Anne le 10 novembre 1967 dans le cadre du cercle d’étude psychiatrique dirigé par Henri Ey) :
« Le fait que s’effacent les frontières, les hiérarchies, les fonctions royales et autres, même si ça reste sous forme atténuées, plus ça va plus ça prend un tout autre sens, et plus ça devient soumis aux transformations de la science, plus c’est ce qui domine toute notre vie quotidienne. […] seulement il y a une rançon à ça, c’est que, probablement en raison de cette structure profonde, les progrès de la civilisation universelle vont se traduire, non seulement par un certain malaise comme déjà monsieur Freud s’en était aperçu, mais par une pratique dont vous verrez qu’elle va devenir de plus en plus étendue, qui ne fera pas voir tout de suite son vrai visage, mais qui a un nom, qu’on le transforme ou pas voudra toujours dire la même chose et qui va se passer : la ségrégation.
C’est précisément, en tant que vous êtes psychiatres que vous pourriez avoir quelques choses à dire sur les effets de la ségrégation, sur le sens véritable que ça a. Comme les choses vont vite, ce qu’on verra très vite, le sais pas peut-être dans une petite trentaine ou cinquantaine d’années, c’est qu’il y avait déjà, autrefois,, quelque chose qui s’appelait le corps des psychiatres et qui se trouvait dans une position analogue à ce qu’il faudra bien alors inventer pour comprendre ce dont il s’agira dans les remuements qui vont se produire et à des niveaux sur lesquels vous pouvez compter, qui seront planétaires, dans ce qui se produira au niveau de ces initiatives constituant une nouvelle répartition interhumaine et qui s’appellera l’effet de ségrégation. A ce moment l’historien dira : mon dieu, les chers psychiatres, en effet, nous donnent un petit modèle de ce qui aurait pu être fait à ce moment-là comme cogitation qui aurait pu nous servir, mais à la vérité, ils ne nous l’ont pas donné parce qu’à ce moment-là, ils dormaient. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont jamais vu bien clairement de quoi il s’agissait dans leur rapport à la folie à partir d’une certaine période. »
Présentation du Foyer Léone RICHET :
Le FLR se compose de 4 services mais sur le plan fonctionnel de 2 services : le Foyer d’Accueil qui correspond au FAM et l’APPUI avec le SAAD, le SAVS et le SAMSAH.
En totalité le FLR accompagne 150 personnes psychotiques sur Caen.
Aujourd’hui le FAM accueille 28 personnes : 15 en internat et 13 en externat (accueil de jour). L’externat accueille en fait 23 personnes mais à temps partiel (17 ETP) du fait d’un manque de sorties et de relais vers la psychiatrie ou d’autres institutions MS.
A. Effets de ces changements sur les pratiques institutionnelles
A. L'institution en danger
A. Fonction d'accueil
B. Fonction d'abri
C. Fonction tierce
D. Le semblant de l'institution
tensions entre nos tutelles et l'institution
tensions en interne
se rencontrer
B. Prendre en compte la réalité du social : être dans le paysage ou village gaulois ?
2. Faire évoluer les institutions sans céder sur certains invariants
Fonction d'accueil
Principe d’hétérogénéité
Principe de proximité
Circulation
Espaces ouverts